dimanche 14 septembre 2014

Blatter, Thiriez... Précisions sur l'arbitrage vidéo



Il y a moins d'une semaine, on apprenait que Sepp Blatter, l'actuel président de la FIFA, se représentait pour un nouveau mandat, estimant sa mission "pas encore terminée" à la tête de la Fédération. Alors qu'on lui prévoyait une fin de règne possible avec l'avènement de Michel Platini, le refus du français de se présenter face à lui (pour l'instant) ne laisse aucun doute sur le futur résultat des élections. Au lendemain de sa candidature, il déclare que "les entraîneurs devraient avoir le droit, une ou deux fois par mi-temps, de faire appel à la vidéo pour remettre en cause une décision de l'arbitre, mais seulement quand le jeu est arrêté". Après avoir été raillé pour sa caricature de Cristiano Ronaldo ou pour le recul des votes du ballon d'or, voilà maintenant qu'il se range du côté des "pro-vidéos", lui qui a toujours été contre par le passé. Un moyen de récupérer quelques voix? Sûrement pas, voyons...

Toujours est-il que notre président à nous, Frédéric Thiriez, s'est empressé de se porter "candidat à l'arbitrage vidéo". Lui, avocat de métier, chevalier de la Légion d'Honneur, ancien parachutiste, passionné de théâtre et acteur à ses heures perdues, se déclare favorable et "candidat à l’expérimentation de l’arbitrage vidéo, par exemple sur la Coupe de la Ligue, qui a toujours été la coupe de l’innovation technologie, des progrès". J'ai beau avoir cherché, les progrès liés à la Coupe de la Ligue ne sont pas légions. Le port du micro pour l'arbitre peut-être? L'arbitrage à cinq? De franches réussites effectivement. 

Seulement voilà, quels peuvent bien être les risques liés à l'application d'un arbitrage vidéo? Au XXIe siècle, dans une société où tout est filmé, sous surveillance, où on est capable de voir à des milliers de kilomètres avec la plus grande précision, on ne serait toujours pas capable d'apporter une aide aux arbitres? L'équation semble pourtant simple : Avec la vidéo, moins d'erreurs, donc moins de critiques, plus de sportivité et moins d'injustices, tout le monde en sortirait gagnant. Voilà à peu près ce qu'on entend le plus souvent sur ce débat. Intéressons nous plus profondément au problème.

Commençons simplement par rappeler le rôle et la définition même du poste d'arbitre. Un arbitre est une personne choisie d'un commun accord entre deux parties pour trancher un différend à l'amiable. En football, ce n'est en aucun cas un homme qui détient la vérité ou un juge, c'est quelqu'un qui est là pour interpréter les différentes actions des deux équipes et veiller à la bonne tenue du match. D'ailleurs, si on ne s'en tenait  qu'aux termes et strictement aux termes, un arbitre ne ferait pas à proprement parler d'erreurs, mais simplement de mauvaises interprétations. L'arbitre interprète la situation et décide de siffler faute ou pas, tout en prenant en compte le contexte du match, le moment où la faute est commise, la physionomie du match et l'état psychologique des joueurs.

Il faut quand même se rendre compte que, si aujourd'hui, on est amené à parler de vidéos dans l'arbitrage, c'est parce qu'on peut dorénavant voir et revoir ces erreurs. Sans les retransmissions télés, sans les ralentis, sans les avis d'experts qui n'en sont pas vraiment, personne ne parlerait d'arbitrage. C'est la vidéo qui a amené à s'y intéresser, parce que c'est aussi ce qui fait réagir : Que ce soit les entraîneurs, les présidents, les joueurs ou les supporters, une erreur d'arbitrage est en quelque sorte une excuse à un mauvais résultat, un moyen de détourner l'attention sur une prestation en deçà des espérances. Autre exemple d'incidence de la vidéo, la pléiade de ralentis permet aussi de mettre en valeur un joueur par sa technique, grâce à un geste ou un dribble mis en avant. Cela a forcément participé à l'avènement du footballeur, plus que de son équipe et donc favorisé la montée de l'individualisme. Combien d'équipes a-t-on vu mieux jouer un dimanche soir sur Canal + qu'un samedi soir au milieu du multiplex? Combien de joueurs se donnent plus à fond quand ils passent à la télé que quand le match n'est pas retransmis en direct? Tout ça au détriment du jeu. Pour preuve, le début de l'action de l'égalisation de Lilian Thuram contre la Croatie reste et restera un mystère pour le plus grand nombre d'entre nous qui étions trop occupé à revoir le but de Suker.

Nombreux sont ceux à prendre en exemple d'autres sports où la vidéo intervient et l'érige en argument principal de leur plaidoyer. Que ce soit le football américain, le rugby, le basket, le tennis... La vidéo permet de réduire les erreurs. À la simple différence que tous ces sports sont des sports à phases de jeu arrêtées. On s'arrête entre les points au basket et au tennis, sans parler des temps morts, les mêlées, les en avants ou les contacts font que le jeu est aussi construits par phases arrêtées au rugby et encore plus dans le foot US. Le rythme n'est donc pas ce qui prédomine, au contraire du football, qui est un sport fait d'offensives et de contre attaques, où c'est la fluidité et la continuité du jeu qui font la beauté de ce sport.

Passons maintenant à la pratique avec plusieurs exemples simples : 
  • Une main dans la surface. Volontaire, involontaire? La vidéo, le ralenti, va-t-il nous permettre de juger l'intentionnalité de celui qui l'a fait?
  • Un hors jeu. Selon l'angle choisi, combien de fois a-t-on changé d'avis sur la position hors jeu ou non d'un joueur? Est-on sûr à cent pour cent de la fiabilité de la vidéo? Ou faudrait-il mettre des caméras tout autour du terrain pour être sûr? De plus, l’œil humain n'est pas parfait, comment peut-on être sûr d'arrêter l'image pile au moment où la balle quitte le pied du passeur? Je me souviens du lancer de Tony Parker avec les Spurs pendant la finale NBA contre Miami où les arbitres avaient eu recours à la vidéo pendant cinq bonnes minutes avant de finalement se fier au ralenti le plus fiable.
  • Une faute discutable. Combien d'entre nous ne se sont pas déjà disputés sur un penalty existant ou non, avec à l'appui tous les ralentis proposés? Sans pour autant être sûr d'avoir raison, bien au contraire.
Prenons un exemple précis où la vidéo s'est desservie elle même. 1998, match Bresil Norvège en phase de poule de coupe du monde. Pénalty sifflé pour la Norvège, sur un centre anodin, l'arbitre voit une faute de Baiano sur Flo. Faute totalement inexistante sur tout les ralentis qui provoquèrent la colère des marocains (qui pouvaient encore se qualifier) et crièrent au complot. Sauf que quelques jours plus tard, vu sous un autre angle, on voyait le tirage de maillot dont avait été victime le joueur norvégien. Simple constat des effets possibles engendrés par la vidéo.

Déjà depuis plusieurs années, on assiste à des avancées technologiques censées nous apporter de la clarté sur certaines actions. Le fameux "révélateur", la "super loupe", etc. Ce révélateur a disparu en Angleterre, pendant qu'en France on le met en avant. L'abandon de cette mesure permettrait pourtant d'apaiser les esprits, une volonté si souvent revendiquer par les acteurs du football français mais qui ne font pas grand chose pour le mettre en application. Pour ce qui est de la fameuse loupe, avez vous déjà remarqué à quel point un choc entre deux joueurs, au ralenti, paraît totalement inoffensif ou beaucoup moins impressionnant qu'en direct?

Le débat d'aujourd'hui fait suite à la proposition de Blatter qui propose à chaque entraîneur une ou deux possibilités dans le match de faire appel à la vidéo. Imaginons que cela soit le cas. Dans quelle mesure peut-il intervenir? Combien de temps a-t-il pour faire la demande? Ne rajouterions nous pas une nouvelle notion d'injustice? Par exemple, une situation litigieuse dans la surface, l'équipe qui défendait se retrouve en position de contre attaquer, mais l'entraîneur demande la vidéo. On arrête le jeu, or, la décision de l'arbitre était la bonne. Une situation a donc été annihilé, l'équipe qui pouvait contre attaquer ne se sentirait-elle pas lésée? Nul besoin de vous expliquer les possibilités à des fins tactiques que cela pourrait occasionner. Sans parler de ce qui fait la beauté de ce sport, les émotions qui s'en dégagent. Un but marqué, et la vidéo demandée? La joie ou la détresse occasionnée serait donc dorénavant soumise à une condition, l'attente du verdict? 

L'erreur ou l'injustice occasionnée par une décision de l'arbitre accentue le caractère dramatique d'un résultat et accentue ainsi l'intensité des émotions. Et je pense qu'on pardonne bien plus facilement à un humain de faire une erreur qu'à une machine. Les accusations seraient beaucoup plus nombreuses et plus violentes, le thème de la corruption largement plus mis en avant si un arbitre prenait une décision qui ne serait pas la bonne, malgré la vidéo, etc. Aujourd'hui, une erreur de l'arbitre fait partie du jeu, elle est acceptée par tous. La vidéo quant à elle, ne l'est pas.

Je finirais en disant que le football est un sport archaïque. Comme le rappelait il y a peu Michel Platini, "Le football doit rester humain, joué par des joueurs et arbitré par des hommes et non par des caméras de télévision. [...] Le football, ne l’oublions pas, est le sport le plus populaire au monde. Ça marche bien. Il y a peut-être des contradictions mais ça marche bien." S'il parvient à attirer autant de monde depuis autant d'années et de plus en plus, c'est sûrement aussi en partie grâce à ces fondements. S'il y a évidemment des progrès à faire en matière d'arbitrage - je pense notamment à la double peine du penalty sifflé suivi du carton rouge (ou la triple peine même comme dirait Roland Courbis, qui rajoute la suspension qui suit) - il faut aussi se rendre compte de l'influence néfaste et grandissante de l'image et de la vidéo dans notre société, comme si elle était détentrice de LA vérité, comme si les images expliquaient toujours tout. 

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